La 4e édition des Estivales de Partage et Vie sur le thème « Savoir, éthique et grand âge » s’est tenue le 14 juin à la Maison de la Chimie (Paris). Une salle pleine et des intervenants inspirants ! Morceaux choisis.
Roger-Pol Droit, philosophe et conseiller éthique de la Fondation : « Nous avançons en « terre inconnue ». Jamais, dans l’histoire des sociétés humaines, la population des personnes très âgées n’a été aussi importante. Les savoirs relatifs au grand âge ont connu des progrès considérables, mais l’application de ces savoirs (médicaux, psychologiques, organisationnels) se confronte à de nombreuses difficultés. Voilà qui pourrait suffire à expliquer le choix du thème de ces Estivales : réfléchir aux connaissances disponibles, à la manière de les utiliser mieux et de les partager, veiller à repérer les idées fausses et les préjugés qui entravent leur mise en œuvre ».
Des échanges entre experts et professionnels de Partage et Vie
Les deux tables rondes animées par la journaliste du Point Anne Jeanblanc ont pu compter sur la participation d’experts et de professionnels de Partage et Vie : Yves Agid, neurologue et professeur des universités ; Joëlle Aufresne, aide-soignante à l’Établissement d'Hébergement pour Personnes Âgées DépendantesEHPAD Les Chantournes (Isère) ; Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste et écrivain ; Claude Jeandel, conseiller médical de Partage et Vie ; Dana Jourde, directrice de l’Institut de formation de Partage et Vie (Lyon) ; Éric Fiat, professeur de philosophie ; Madame Lepoutre, résidente, et Anne Moszyk, directrice, à la résidence autonomie Le Val des Roses (Dunkerque) ; Anna Perraudin, chargée de projets stratégie et organisation de Partage et Vie ; Perla Servan-Schreiber, auteure et cuisinière.
Transmettre les savoirs indispensables, créer les bons comportements
Sur le sujet de la table ronde, Dana Jourde a fait part de sa longue expérience : « Je suis arrivée dans ce métier confiante et avec beaucoup de connaissances. Toutefois la réalité du terrain n’est pas ce que l’on apprend sur les bancs universitaires. Il faut pratiquer la théorie mais aussi théoriser notre pratique, prendre du recul sur ce que l’on fait, comment et pourquoi on le fait. L’être humain est plus complexe que la théorie et cela demande un travail sur soi ».
Yves Agid a insisté sur l’importance de « bien comprendre ce qu’est le vieillissement (…) et ce qui se passe dans le cerveau. Ainsi on peut mieux savoir si nos pratiques sont, ou non, adaptées. On peut comprendre ce qu’il est possible de faire avec une personne accompagnée et ce qu’il est impossible de lui demander ».
Selon Claude Jeandel, il y a trois éléments pour transmettre les savoirs et avoir les bons comportements en établissement : « Il y a le temps essentiel de l'accueil. Il faut impliquer l'ensemble de l'équipe, avec des procédures claires. Deuxième temps, c'est le retour d'expérience : il faut identifier les situations anormales et se réunir en équipe pour analyser la situation. Ce sont des moments d'échange où l’on va essayer de comprendre pourquoi la situation est survenue. Troisième élément, ce sont les méthodes pédagogiques, qui doivent être adaptées. C’est complexe puisque les prérequis ne sont pas les mêmes pour chaque professionnel. Mais des méthodes existent, par exemple, l'apprentissage par problèmes, qui est basé sur la psychologie cognitive et qui est une méthode particulièrement rompue à permettre les ajustements interdisciplinaires ».
Les connaissances techniques, médicales, psychologiques sont essentielles, mais les apprentissages de terrain et le quotidien auprès des personnes âgées, la communication avec elles, sont tout aussi importants. Joëlle Aufresne, aide-soignante : « Il faut avoir des connaissances théoriques, ce n’est pas inné et leur manque peut conduire à des réactions non adaptées, mais la communication est essentielle pour apprendre à connaître la personne accompagnée et s’adapter au mieux à ses besoins. Il faut toujours continuer d’apprendre ».
Représentations du grand âge, obstacles à surmonter, changements à opérer
La seconde table ronde a permis d’aborder les représentations de la vieillesse dans notre Société et comment elles peuvent empêcher ou biaiser la diffusion de connaissances utiles. Le regard de la Société sur les personnes âgées passe par les mots employés, par la représentation dans les médias, les œuvres de fiction, les réseaux sociaux… La faible présence des personnes très âgées sur ces canaux se résume à montrer une vieillesse édulcorée, celle du « successful aging », et qui sont pour la plupart des personnes appartenant plutôt au 3e âge, qu’au vrai grand âge.
La question du mot à utiliser pour parler des personnes âgées a été débattue par les intervenants : vieux, séniors, personnes de grand âge, papis, mamies… ? Selon Perla Servan-Schreiber, « il n’y a aucun mal à être appelé vieux ou vieille ». Mme Lepoutre, résidente du Val des Roses et première concernée, a indiqué qu’elle n’aimait pas le terme, péjoratif à ses yeux. « Il y a autant de vieillissements que de personnes, et certaines aiment qu’on les dise séniors, d’autres non. Faisons du sur-mesure et non du prêt à porter pour les nommer » a complété, Éric Fiat.
Whisky hors d’âge
Éric Fiat ajoute également : « J'ai découvert récemment ce qu'était un whisky hors d'âge. Je croyais spontanément que c'était un whisky tellement vieux qu'on ne pouvait pas donner son âge. J'ai appris que pour un whisky hors d'âge sont mêlés des whiskys qui ont plusieurs âges. C’est l'alliance du vieux et du jeune qui crée quelque chose d'extraordinaire. J'aimerais que nous fussions hors d'âge ! (…) À tout âge, on est hors d'âge : chez le jeune, il y a déjà la personne très âgée qu'elle sera. Chez le vieux, il y a l’enfant, le jeune, le parent… que la personne a été ».
Perla Servan-Schreiber : « La vision de la vieillesse est très influencée par sa propre culture et le lieu d’où l’on vient. Je suis née au Maroc, il y a 80 ans. J’ai vécu avec mes grands-parents qui étaient chez nous. C’était un bonheur de vivre avec eux ! J’ai la chance d’avoir été élevée dans cette culture, c’est pourquoi j’adore être une vieille dame. J’ai la chance aussi d’être en bonne santé. Pour ceux dont la représentation des vieux n’est pas celle que j’ai eue, ceux qui ne voient les personnes âgées que de loin, il est essentiel de montrer qu’elles existent, et pour moi cela peut passer par la fiction ».
En conclusion
Dominique Monneron, délégué aux relations institutionnelles de la Fondation, a conclu les Estivales en partageant ce qu’il a appris durant les 6 années en tant que directeur général de Partage et Vie : « J’ai appris qu'on a beaucoup de choses à apprendre ! Il faut connaître les pathologies, le vieillissement, l’accompagnement de la personne fragile (…). Ces savoirs, s'acquièrent en formation initiale, mais surtout tout au long de la vie professionnelle (…) Au-delà des savoirs techniques, la communication, l'empathie et l’intelligence du cœur sont aussi des compétences clé dans nos métiers (…) J’ai aussi appris un élément essentiel : il est fondamental que nous comprenions que nous avons affaire à des adultes. Qu’il ne faut pas les infantiliser : les soignants, comme les familles, doivent comprendre que les personnes âgées ont des besoins et des désirs d’adultes ».
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