• 01/04/2025
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Estivales 2025 : nos 6èmes rencontres éthiques sur le thème de l'entrée en Ehpad

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Des professionnels de Partage et Vie et des intervenants d'horizons divers ont partagé leurs réflexions et leurs pratiques pour faire progresser le métier de l’accompagnement des plus anciens. C’était à la Maison de la Chimie le 25 juin.

Olivier Richefou

(président du conseil départemental de la Mayenne et vice-président de Départements de France en charge du grand âge) : « Dans le parcours des personnes âgées, nous avons à bâtir d'abord la prévention. Les outils de repérage qui existent doivent massivement être mis en œuvre. Il existe ensuite une diversité d'acteurs qui ne travaillent pas nécessairement ensemble. L'objectif est de rassembler les acteurs pour faciliter le parcours de la personne. Je crois que toutes les volontés sont au rendez-vous mais il faut vraiment simplifier la vie de tous les acteurs des EHPAD. Nous sommes nombreux à militer pour une loi grand âge. On ne fait pas des réformes uniquement avec une loi de finances, de sécurité sociale ou quelques décrets. »

Claude Jeandel

(professeur et conseiller médical Partage et Vie) : « La transition vers l’EHPAD survient dans deux situations principales. La première est prévisible, et donc compatible avec un accompagnement approprié, la préparation des proches et une programmation de l'admission. Ce sont les situations avec évolution progressive de dépendance cognitive : maladie d'Alzheimer, Parkinson, etc. L'évaluation des limites du domicile, souvent tributaire de l'aidant lui-même, est essentielle. Le temps de consultation, l'annonce du diagnostic aux proches et la préparation du parcours, sont cruciaux pour entrevoir le moment optimal de la transition vers l'EHPAD. La seconde situation est moins, ou pas prévisible, par exemple à la suite d’une hospitalisation du fait d’une pathologie infectieuse, d’un accident vasculaire, de chutes, etc. La transition vers un EHPAD se fera depuis l’hôpital, quand le retour dans le milieu de vie antérieur n'est pas envisageable. D’où l'importance des liens étroits entre la filière gériatrique hospitalière et l'EHPAD afin, idéalement, de procéder à une instruction concertée de la décision. »

Anny Duperey

(comédienne de théâtre, actrice de cinéma et autrice) : « La vie a fait que je n'ai pas eu à me confronter à la vieillesse de ma famille. Beaucoup de mes proches sont partis tôt. Avant de venir aux Estivales, j'ai interrogé un proche qui a une mère en Ariège, une femme au caractère pas facile, qui a toujours vécu un peu isolée. En maison de retraite, elle a trouvé des échanges qu'elle n'avait pas eus l'occasion d'avoir, presque une nouvelle vie. On peut découvrir une sociabilité avec les soignants, des lectures, des activités. Mais cela dépend du caractère de la personne. »

David Brittmann

(directeur de l’EHPAD, spécialisé Alzheimer, L’Œillet des Pins de Partage et Vie) : « Bien souvent il n'y a pas d'autre solution que l’EHPAD pour accueillir les personnes qui ne peuvent plus rester à domicile. Mais les questionnements de la part des residents qui ont des troubles cognitifs peuvent durer. Nous avons avec eux des conversations très nourries. L’écoute est importante. La psychologue de l'établissement intervient et aide les résidents à formuler les angoisses, à verbaliser des nuances, à s’adapter à cette nouvelle vie en collectivité. Il faut réellement écouter, ne pas chercher à contrôler. La contradiction et l’ambivalence peuvent en effet exister. Nous avons la chance de disposer d’un accueil de jour qui permet de faire connaissance avec la personne, avec son entourage et de développer une relation. »

Gwenaëlle Le Bourdonnec

(psychologue à l'EHPAD Arthur Gardiner de Partage et Vie) : « Il y a beaucoup de détresse ou d'épuisement des proches, notamment en raison des troubles cognitifs. Au quotidien, c’est difficile quand quelqu'un ne sait plus s'habiller, mettre le couvert, ou demande tout le temps « Qu'est-ce que je fais là ? ». C'est douloureux de ne plus pouvoir avoir une conversation avec son époux ou sa mère. Un jour, un monsieur m'a dit : « Mais comment voulez-vous que je fasse le deuil de ma femme? Elle est toujours là ! ». En EHPAD, 75% des résidents présentent des troubles cognitifs. Certains aidants attendent le dernier moment, jusqu’à l'épuisement. Pendant des années, ils ne pensent que pour l'autre. Ils n'arrivent plus à lâcher, ils n'arrivent plus à penser à eux. Psychiquement, c'est bloqué. Il y a la culpabilité. L’entrée en EHPAD de leur proche doit être prévue, aussi pour leur santé à eux et progressivement, ils acceptent. » 

Nadège Oliver

(infirmière et référente éthique à l'hôpital Arthur Gardiner de Partage et Vie) : « L'hôpital de Dinard est principalement un hôpital gériatrique. On y accueille des personnes qui transitent par les urgences bien souvent. La moyenne d'âge est d’environ 90 ans. Beaucoup de patients entrent dans nos lits pour des situations de troubles cognitifs avancés. Pour eux, il n'est pas question d'EHPAD. C'est au détour de notre accueil que l’on questionne le maintien à domicile. Bien souvent c’est la meilleure solution mais on y va progressivement, parce que l'on doit respecter le cheminement de la personne. L'élément limitant, c'est l'état de santé de l'aidant. Il ne faut pas que la décision soit génératrice d'une altération de l'état de santé de l'aidant. »

François Jullien

(philosophe, helléniste et sinologue) : « Pour penser la vie, il faut, je crois, distinguer le vital et le vivant. Le vital est le fait d'être en vie ; le vivant est la capacité de déployer davantage sa vie. Je pense au thème chinois de nourrir sa vie : ce n'est pas nourrir son corps physique, c’est nourrir, à partir du vital, une capacité à déployer quelque chose qui soit en essor. Plus simplement, c'est nourrir le souffle. Le souffle, ce n'est pas du physique, ce n'est pas non plus du spirituel, c'est entre les deux (…) J'ai entendu ce qui a été dit du tarissement des capacités cognitives et je me demande s'il n'y a pas quelque chose qui peut s'accroître avec l'approche de la fin de vie, que j'appellerais l'intime. L'intime est à la fois ce qui est le plus au dedans de moi, et ce que je peux partager avec l'autre (…) Pour qu'il y ait un Homme, il faut, je crois, deux conditions. Il faut s'être dégagé des rapports de force qui font la société. Et il faut aussi s'être détaché des rapports d'intérêt. En fin de vie, n'est-on pas dégagé de cela ? C'est là qu'il y aurait une sorte, non pas de progrès, mais disons d'avancée. »

Sylvain Brabant

(directeur du service à domicile Atmosphère de Partage et Vie) : « L'anticipation, c’est être capable de mettre des mots sur la situation de la personne, d'identifier ses besoins et lui montrer très tôt le panel des solutions disponibles. Et lorsque le moment de vie est là, lorsque le choix est là, elle a connaissance des solutions. Ce que je recommande, c'est d’évaluer les besoins des personnes très tôt. La pair-aidance est aussi très utile. C'est le fait d'échanger sur des situations vécues de manière concrète. Une personne raconte son vécu et le partage avec des personnes qui se retrouvent dans le même moment de vie. On peut casser le sentiment de culpabilité et les blocages. Cela permet de faire des petits pas et de passer à l'étape suivante. »

Jacques Dubois

(fils de résidente et président du conseil de la vie sociale de l’EHPAD L’Œillet des Pins de Partage et Vie) : « J'ai parlé avec ma maman de la manière dont elle voulait vivre sa vieillesse, quand elle était encore en bonne santé. À un moment, des troubles de la mémoire sont apparus. Je me suis vite rendu compte que si j'attendais trop longtemps, elle ne pourrait pas prendre de décision. On en a parlé plus concrètement, et l'EHPAD a semblé la meilleure solution. Elle se rapprochait de moi et c’était nature à la rassurer. On a eu la chance de trouver L’Œillet des Pins  (…) Il vaut mieux entrer en EHPAD avec des bons souvenirs, ne pas attendre trop longtemps, ne pas être en complète dépendance. Ma maman avait encore des moments clairs. Mais malgré l’anticipation, cela a été très très difficile (…) L’entrée en EHPAD peut être soit une petite mort, soit une deuxième vie. Je l'ai vécu au début comme une petite mort : je mets ma mère dans son dernier lieu de vie, donc je faisais mourir ma mère. Et aujourd'hui, c'est une deuxième vie. Ma mère est paisible. Je profite de ces années comme je n'aurais jamais cru pouvoir profiter d’elle (…) Je fais partie du conseil de la vie sociale (CVS) de L’Œillet des Pins. Quand ma maman y est arrivée, je me suis dit que ma participation était un juste retour d'ascenseur. J'ai accepté ce poste pour montrer à l'équipe que la famille est avec eux. »

Jean-Jacques Coiplet

(directeur général de l’agence régionale de santé de Bourgogne-Franche-Comté) : « Ce qui nous réunit aujourd'hui, c'est l'humain, c'est cela qui doit nous motiver. Dans les territoires, les choses évoluent rapidement. Des réponses entre le domicile et l'EHPAD se développent : domicile partagé, centres de ressources territoriaux (CRT), équipes mobiles... On sort d'une forme de dichotomie entre le domicile et l'établissement. Il y a des réponses qui existent et qui permettent le choix. Les EHPAD changent aussi et deviennent des coordonnateurs sur leur territoire en accompagnant les acteurs de l'aide à domicile (…) Pour améliorer l’entrée en EHPAD, il faut faire en sorte que le parcours de vie soit le moins possible un parcours du combattant. L'anticipation, quand on peut le faire, et la prévention, sont très importantes. Les solutions ne sont pas toujours connues, pas toujours coordonnées. Il faut former les médecins généralistes, les travailleurs sociaux, les employés de caisses de retraite, toutes celles et ceux qui, à un moment donné, vont pouvoir aider (…) L'EHPAD du futur, ce sont les établissements qui ont travaillé sur l'éthique, le sens, les valeurs, les conditions de travail, sur la formation. Les perspectives sont extrêmement stimulantes et intéressantes. »

Jean-Benoit Dujol

(directeur général de la cohésion sociale) : « En EHPAD, les circonstances de l'entrée sont souvent subies ; elles se font après une chute par exemple, après une prise de conscience subite d'une grande fragilité, que ce soit sur le plan de la locomotion ou de la cognition (…) Il ne faut pas hésiter à faire l'expérience de l'EHPAD avant l'EHPAD : en accueil de jour, en séjour temporaire, en participant à des activités hors les murs organisées par un EHPAD dans une stratégie de lutte contre l'isolement au domicile. Les CRT jouent aussi un rôle important et utile. La transition se fait de manière plus naturelle. Beaucoup d'EHPAD aujourd'hui développent des stratégies d'ouverture sur les territoires et c'est une façon d'accompagner en douceur une transition ou de rendre possible des allers retours. »


Marie-Françoise Fuchs

(docteur et présidente d’honneur fondatrice de l’association Old’Up ) : « Old up, cela veut dire « les vieux debout ». C’est l'envie que la vie ait encore un sens et une utilité, pour soi, pour ses proches, et dans la société. Nous sommes des apprentis centenaires. Nous avons passé 24h dans un EHPAD et nous avons écrit un petit livre collectif, « Mort ou vif en EHPAD ». Aller en EHPAD, c'est malheureusement pour mourir dans beaucoup de cas, mais pas tout de suite. Et c'est aussi pour vivre. Quel que soit l'état de santé, il y a des désirs d'échanges. L'EHPAD est une rupture par rapport à ce qui est familier. On entre dans un collectif. Cela nécessite un trait d'union. Il existe des systèmes de parrainage, avec un résident qui accueille la personne qui arrive. C’est une familiarisation proposée, une chaleur humaine (…) Il faut que les choix restent encore possibles. L'absence de choix souvent dans les EHPAD est désastreux. On vous fait tout parce qu’on pense vous rendre service. Vous connaissez la méthode Montessori pour les vieux ? J'en suis fana ! C'est une méthode dans laquelle, au lieu de lister les pertes, on regarde les capacités restantes et on les utilise. Cela me paraît un projet plus important que simplement rendre possible la toilette. (…) Vieillir est une ascension, il n'y a pas à tortiller ! Le destin de l'Homme c'est quand même de mourir un jour. Mais, il accomplit un destin et je pense que c'est là qu'il y a un sens qui n'est plus du tout négatif : c’est une ascension vers une transformation. »