• 18/04/2023
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La chronique de Roger-Pol Droit : chasser nos idées fausses sur la vieillesse

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Dans la 2ème chronique éthique de Roger-Pol Droit, il est question de vieilles crapules et de jeunes crapules. Philosophe et conseiller de Partage et Vie, il pose la question : « La vieillesse » existe-t-elle réellement ?

Bien sûr, nous avons tous, chaque année, un an de plus. Quel que soit notre âge, notre corps se transforme, notre esprit également. Jusqu’au jour où nous nous considérons comme vieux. Mais en fonction de quoi ? Du regard des autres ? De nos propres perceptions ? Il est fort difficile de saisir où se situe exactement la frontière à franchir. Entre pas encore vieux et carrément vieux, la limite semble si variable, si diverse, qu’il est malaisé de la fixer avec certitude. Elle ne dépend pas d’un seul facteur, mais d’une série de paramètres.

Question d’âge ? Pas seulement. De capacités physiques et cognitives ? En grande partie, mais là encore les critères sont multiples, les délimitations souvent incertaines. Les métamorphoses sont en effet si différentes selon les personnes qu’il est abusif d’en uniformiser les rythmes, les modalités et les intensités. La trajectoire de chacun est particulière. On ne rencontre, en fait, que des vécus individuels. Chacun croise des personnes humaines qui changent, mais personne ne rencontre pas « la vieillesse », supposée homogène et uniforme.

Elle n’existe que dans les images toutes faites, les préjugés, les représentations dont nous héritons à notre insu. Mais ces idées fausses sont tenaces et leur impact demeure immense. La vieillesse serait un naufrage. Il y a pourtant de vaillants centenaires comme il y a des adolescents délabrés.  La vieillesse serait une sagesse. On rencontre malgré tout de vieux fous aussi bien que de jeunes sages. La vieillesse exigerait par nature le respect. On ne voit pourtant pas ce qui rend une vieille crapule est plus digne qu’une jeune crapule.

Il se pourrait que tous les filtres à travers lesquels nous regardons les personnes âgées fussent aujourd’hui à réexaminer, à repenser. Parce que ces lunettes, qui colorent différemment la réalité, nous empêchent souvent de la voir vraiment. Ces représentations conventionnelles nous font même, éventuellement, commettre de lourdes erreurs d’appréciation dans nos jugements comme dans nos comportements envers les plus vieux d’entre nous.

Tant que nous ne les avons pas analysées, nos manières de concevoir la vieillesse et de lui attribuer des caractéristiques figées risquent de nous entraver pour bien accompagner les personnes de grand âge. Car ces notions préconçues nous font oublier l’essentiel. Elles masquent que plus important n’est pas la vieillesse, mais les liens entre les personnes - entre chaque personne et sa famille, ses amis, son entourage, et ses soignants et accompagnants, si elle vit dans une résidence. Parce que les êtres humains vivent avant tout d’interactions, de relations, de paroles et regards échangés, de gestes qui signifient. C’est là que tient la dimension éthique de la vie.

Finalement, les représentations de la vieillesse qui suspendent ou entravent ces interactions et ces gestes sont néfastes. Celles qui favorisent les relations intergénérationnelles entre humains, quel que soit leur âge et leur état de santé, sont au contraire à soutenir et à consolider. Il faut donc apprendre à discerner les unes des autres. Or ce n’est pas toujours évident.

C’est pourquoi la réflexion éthique de Partage & Vie de cette année aborde cette question, en relation étroite avec celle des savoirs indispensables pour mieux accompagner les personnes de grand âge. Nous entamerons cette réflexion collective sur les représentations de la vieillesse au cours des Estivales, le 14 juin à la Maison de la Chimie, et elle se prolongera dans le nouveau volume de la Bibliothèque Partage & Vie qui paraîtra à l’automne.

         Des professionnels de Partage & Vie échangeront avec des personnalités qui se sont engagées dans des analyses inédites de la vieillesse et du vieillissement, la journaliste et essayiste Perla Servan-Schreiber (Les promesses de l’âge Flammarion, 2018), et le philosophe Eric Fiat (Ode à la fatigue, Éditions de l’Observatoire, 2018).

         On s’en doute : ces échanges ne déboucheront pas sur des recettes miracle ni des solutions définitives clés en mains. Mais ils devraient contribuer à ouvrir et à stimuler une réflexion devenue indispensable. Il appartiendra à chacun de la poursuivre, et d’en tirer les conséquences pratiques.