• 15/04/2022
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La chronique de Roger-Pol Droit : inventer à plusieurs les bons comportements

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On oublie trop souvent les liens étroits qui unissent éthique et actions concrètes. Comme si l’éthique n’était que discours, principes et intentions - et non pas faits et gestes.  Pourtant, la racine grecque d’où provient le mot « éthique » indique très clairement une connexion profonde avec les manières d’agir. « Ethos », en grec ancien, veut dire « comportement », « manière de vivre », « façon d’agir ».

Ainsi, l’« ethos » des oiseaux, par exemple, leur manière de se comporter, consiste à voler, à construire des nids et à se reproduire de manière ovipare. Tous ces actes sont dictés par leur programme génétique, et la discipline scientifique nommée « éthologie » étudie les comportements innés des différentes espèces. Les humains, toutefois, se trouvent dans une situation différente : leurs manières d’agir ne sont pas commandées par l’instinct, et plusieurs comportements possibles s’offrent toujours à eux, parfois très différents.

La question de l’éthique (« ethikè », adjectif construit sur le mot « ethos », pourrait se traduire par « comportemental ») est en fait celle du bon comportement. Face à une situation donnée, quelle est la meilleure façon d’agir ? Répondre à cette question suppose évidemment d’avoir mis en lumière les critères de ce que l’on considère comme bon ou mauvais, digne ou indigne, juste ou injuste, etc. Il faut aussi être capable de prendre en compte, avec le plus d’exactitude possible, les éléments spécifiques caractérisant le cas qui se présente, qui est toujours particulier.

Ces conditions s’imposent à toutes les formes de décisions éthiques. Mais, pour les établissements accueillant des personnes vulnérables, elles ne sont pas suffisantes. Parce qu’il ne s’agit pas que chacun, individuellement, décide de son attitude et de sa conduite. La tâche consiste à construire à plusieurs les bons comportements.

Qu’il s’agisse de l’entrée en EHPAD, des relations avec les proches aidants et les familles, des soins quotidiens, de l’alimentation, des animations, des traitement médicamenteux ou d’autres thérapies, ces bons comportements sont à inventer « sur mesure », en fonction de chaque résident, de son parcours, de son état de santé présent, de ses capacités cognitives, etc.

Et cette décision est collective, parce que chaque situation met en jeu une série de personnes – la personne accompagnée, mais également les professionnels - soignants, médecins, psychologues, proches... sans oublier les autres résidents. Voilà pourquoi ces décisions éthiques ne sont pas simples à prendre : elles nécessitent, la plupart du temps, de prendre conscience d’un enchevêtrement de relations, de désirs et de contraintes. La solution la meilleure, ou la moins mauvaise, se dessine seulement par le dialogue et les échanges. Le bon chemin n’existe à l’avance, dessiné en détail, prêt à être suivi.

Voilà la singularité du travail éthique : construire à plusieurs le chemin à mesure que l’on avance. C’est un travail collectif de création. Et c’est inhabituel. Car ce n’est pas la même démarche que la collaboration de différents corps de métier pour construire un bâtiment, ou de différents musiciens d’orchestre pour exécuter une symphonie. Dans ces situations, qui symbolisent les travaux exécutés à plusieurs, le chemin est déjà tracé : l’architecte a dessiné le plan de l’immeuble, le compositeur a indiqué dans la partition le jeu de chaque instrumentiste. La tâche principale est de coordonner et d’harmoniser les actions pour une bonne exécution. Il n’y a rien à inventer.

Au contraire, l’action éthique évoque plutôt un édifice dont on esquisserait ensemble le plan au fur et à mesure, ou une mélodie qui s’élaborerait peu à peu collectivement. C’est dans cet esprit, en tout cas, que Partage & Vie poursuit sa réflexion éthique, avec les enquêtes et rencontres actuellement en cours sur le droit et l’éthique, pour préparer les Estivales, qui se tiendront le 15 juin à la Maison de la Chimie à Paris, en partenariat du magazine Le Point. L’événement réunira professionnels de Partage et Vie et personnalités extérieures. Cette chronique vous tiendra informés des travaux préparatoires.