C’est un paradoxe : au moment où l’on compte de plus en plus de personnes âgées, semble s’installer une indifférence et un déni du sujet. Les personnes âgées sont souvent mises à l’écart, invisibilisées. Qu’est-ce qu’être vieux aujourd’hui ? Que faut-il savoir pour mieux accompagner les personnes âgées ? Comment combattre les idées fausses et faire changer les mentalités ? Jeunes, vieux, soignants, résidents, philosophes, médecins, s’expriment dans cet ouvrage sur ces questions et apportent, tour à tour, leur point de vue pour en finir avec l’âgisme.
L’ouvrage se fonde sur une enquête et des ateliers thématiques menés dans les établissements, sur des débats interdisciplinaires conduits au cours des rencontres publiques des Estivales. La parole est donnée à celles et ceux qui d’habitude ne l’ont pas. On y découvre, contre l’image négative devenue habituelle, les trésors d’attention, de dévouement, de joie et de vie qui existent dans les établissements pour personnes âgées. L’accent est mis également sur l’intergénérationnel et sur la nécessité de faire bouger le regard sur la vieillesse et le vieillissement.
Extraits
Perla Servan-Schreiber, journaliste, essayiste, découvre, à bientôt 80 ans, le territoire inédit d’une génération qui ne vieillit pas comme les précédentes, et revendique, à condition d’être en bonne santé, d’être pleinement active. Elle insiste notamment sur la nécessité de restaurer la confiance entre générations : « Je n’ai aucune envie de me voir appelée senior ou aînée, ni d’être classée dans le 3e ou le 4e âge, dont on ne sait jamais exactement où ils commencent ni où ils finissent. Je préfère donner aux mots de vieux et vieille une belle signification et qu’on leur redonne leur sens. Tant qu’on aura peur de ces mots, on ne progressera pas. La clé de tout, ce sont les rencontres entre générations, sous mille formes ».
Yves Agid, neurologue, membre de l’académie des sciences, explique le mécanisme du vieillissement. Il n'y a pas « un » mais « des » vieillissements, différents d'un individu à l'autre et d'un organe à l'autre. Pour les soignants, cela suppose une attention spécifique à chaque résident pour en comprendre les fragilités et les besoins : « Si l’on veut améliorer le bien-être et l'insertion sociale des personnes âgées, il est indispensable de savoir de quoi on parle. Il faut démythifier les poncifs du type « la vieillesse est un naufrage » ou la version « schtroumpf » du vieillissement, proposée par les magazines à la mode. Le vieillissement de notre corps est « différentiel ». Il s'altère à des vitesses différentes selon les organes et selon les gens. On ne meurt pas de vieillissement, on meurt de maladie. »
Pour Claude Jeandel, médecin gériatre, professeur des universités, vice-président du conseil scientifique de la CNSA, il est impératif de privilégier les trajectoires individuelles plutôt qu’une catégorisation par tranche d’âge : « Le caractère hétérogène du vieillissement et la singularité des trajectoires de vie s’opposent à la définition arbitraire de catégories d’âges. Cette vision fragmentaire du cycle de vie s’avère inadaptée pour au moins trois raisons : 1/ elle occulte le continuum de la vie et l’interdépendance des différentes étapes. La vieillesse trouve ses fondations dans l’enfance et le vieillissement se prépare tout au long de la vie ; 2/ elle pérennise les stéréotypes socioculturels qui ont eu tendance à véhiculer une image négative et infondée de l’avance en âge ; 3/ elle expose au risque d’un cloisonnement des générations tandis que l’on assiste à l’émergence de sociétés de plus en plus multigénérationnelles. Elle n’incite donc pas à la mise en œuvre, nécessaire, de politiques ».
Éric Fiat, philosophe, professeur à l’université Gustave Eiffel, réexamine la notion même de vieillesse, pour montrer notamment que l’amour la transcende et surtout qu’il existe, en tout être humain, une coexistence des âges bien plus qu’un déclin constant et inexorable. C’est aussi à l’intérieur de chacun que les générations cohabitent : « [Comme le dit Groucho Marx] “dans chaque vieux, il y a un jeune qui se demande ce qui a bien pu se passer.” (…) Nous voulons ici lutter contre cette façon clivée que notre époque a de représenter la vieillesse. Il semble qu’ou bien on célèbre des vieux restés jeunes, ou bien on déplore ce naufrage que serait la vieillesse (…) Ce sont là deux manières d’éluder la question du vieillissement. Comment en faire une représentation juste ? Notre proposition sera que la personne âgée aille au seul miroir un peu juste qui soit, le miroir que tend le véritable aimant (…) À qui malheureusement vit un peu trop seul, nous suggérerons qu’il se conçoive comme « hors d’âge ». J’ai longtemps cru qu’un cognac hors d’âge était si vieux qu’on ne pouvait lui donner d’âge. Que nenni ! Dans le flacon de cognac « hors d'âge » sont mêlés des cognacs d'âges divers, dont l’alliance crée goût et parfums sans pareils. »
L’ouvrage, disponible en librairie depuis novembre 2023, comporte bien d’autres contributions. Découvrez-les !
Un grand merci à tous les contributeurs :
Yves Agid, Joëlle Aufresne, Geneviève Delaisi de Parseval, Éric Fiat, Claude Jeandel, Dana Jourde, Liliane Lepoutre, Dominique Monneron, Anne Moszyk, Anna Perraudin, Jeannine Pépillo et Perla Servan-Schreiber